Comment créer un buzz et relancer un peu de clics sur un blog vieillissant ou autour d'un magazine confidentiel, sans trop d'intérêt autre que la réécriture régulière des mêmes articles encensant les mêmes vins, les mêmes régions années après années ? Comment attirer la bienveillante attention des forces invitantes aux soirées et week-end de dégustation de grands crus ? Comment se faire remarquer pour son "indépendance d'esprit" et sa capacité à ne pas se laisser subjuguer par le "parisianisme boboïsant" ou les "manipulations" d'une "gourou" américaine ? Comment attirer vers soi les rémoras pinardiers, qui cherchent à s'attacher à un condottiere du classicisme reconnaissant ? Comment augmenter les vues d'un article banal, enfilant les perles avec talent ou plus souvent sans, ou s'inspirant des célèbres marronniers des hebdomadaires ? Et surtout, comment faire oublier la catastrophe écologique que constitue une grande partie la viticulture dite "conventionnelle" ?
C'est bien simple : dites du mal des vins dits "naturels". Glissez une petite médisance au passage d'un billet ou d'un article -- même hors sujet -- sur ces vins dérangeant les notables installés et sans imagination ou mieux encore, sur ceux qui défendent ces vins pourtant pas si différents (il en est d'extraordinaires, d'amusants, de mauvais, et beaucoup de bons).
Et si d'aventure un vigneron naturel médiatiquement exposé bénéficie d'une exposition encore plus grande, n'hésitez pas à la calomnier, critiquez ses pratiques (non, pas celle de sa culture ni de sa vinification, mais le fait qu'il accueille tous les journalistes...), rappelez que "ce n'est pas le seul bio", glissez au passage l'impact néfaste des pratiques en AB sur l'environnement (oui, vous osez tout, alors même que ne vous n'avez la plupart du temps jamais critiqué le fait que la vigne qui représente entre 3 et 4% des surfaces utilise environ 20% des biocides épandus en France), glosez sur la toxicité des orchotoxines (argument utilisé par les pédants, qui évitent soigneusement de réagir sur APACHE entre autres)...
Il y aura de toutes façons quelque valet frétillant et rosissant à l'idée de plaire à un maître, ou quelque égo légèrement boursouflé qui viendra besogner contre les idées nouvelles, essayer de ridiculiser les tentatives (réussies ou pas) de faire du vin autrement, ou donner des leçons d’œnologie ou de bon goût à ceux qui les aiment...
Il est vrai que le bon goût est l’apanage d'élites auto-proclamées et surtout détentrices des postes en vue dans le tout petit mondovino. De ces postes qui permettent d'écrire page gauche de revues sur papier glacé, en vis-à-vis de la page droite réservée elle aux annonceurs ayant les moyens...
Donc, tous les vins naturels puent, sentent le renard mouillé, le poney ou la belette. Ils tuent les terroirs, annihilent les cépages. Les vins naturels ressemblent au vinaigre, repartent en fermentation. Ils ont un goût de vernis à ongle. Le vignerons qui les produisent ne savent pas travailler, sont des fainéants. Les vignes sont sales (il y a de l'herbe, des bestioles qui font caca dedans...). Ceux qui les défendent sont forcément des "khmers verts", bave aux lèvres et disposant d'une telle aura médiatique qu'ils sont en capacité -- et en usent -- de faire taire à jamais de pauvres victimes de la cohorte des facho-bobos...
De fait, cela me paraît aussi vain et imbécile que de décréter que les grands bordeaux sont tous catastrophiquement boisés et vanillés, que tous les barolos sont surextraits ou que tous les vins australiens sont sans finesse (goûtez donc ceux de Tom Belford, pour voir).
Et je ne compte pas le ridicule de la position victimaire de ceux qui trustent à la fois les dégustations "officielles" (quand ils ne les organisent pas) comme les médias les plus diffusés...
Mais Orgon et Tartuffe sont immortels... Et il est bien plus rentable de vendre son opinion au plus offrant que de rester ferme sur ses propres convictions, indépendantes de l'interlocuteur (et de toute récompense). Comme disait l'autre, ce n'est pas la girouette qui tourne, mais le vent. Alors peut-être verrons-nous arriver les résistants de 1946 au secours des vins naturels, dès lors que le marché devenu mature offrira son compte de récompenses pas seulement symboliques.
En attendant, après votre "courageuse" pique sur la nullité des vins naturels et la scandaleuse inculture de ceux qui les consomment, vous aurez le plaisir de voir rappliquer dare-dare à votre soutien, dodelinant doctement de la tête comme les chiens d'antan des plages arrières de la R16, tout ce que la vinosphère compte de Monsieur Jourdain bouffis de condescendance et pétri de cuvées "fût de chêne". Pour ceux-là, penser autrement, aimer différemment, c'est mal aimer ou ne pas savoir aimer.
Je comprends et j'accepte qu'on aime le merlot à la vanille ou le sauvignon 100% fût de buis. Et franchement, je me fiche de savoir si vous en buvez. Je suis davantage gêné par ceux qui défendent bec et ongles le droit de détruire les sols et de vaporiser des cancérogènes dans l'air ambiant, ou qui tolèrent plus de dix résidus de pesticides dans une bouteille, arguant de "la tradition, mon bon monsieur" quand ils hurlent à la mort à la moindre trace de volatile ou de brettanomyces !
Evidemment, pour conserver une image d'objectivité, il vous faudra citer quelques producteurs de vins dits "naturels" mais dans leur version industrielle, où l'absence de soufre sera compensée par quelques artifices chimico-technologiques...
Ceux-là, comme il se doit, ne seront pas des "rétrogrades", incompétents, refusant la modernité et soutenus par quelques méchants blogueurs, mais de vrais et sérieux producteurs à la pointe de la technologie (et souvent davantage capables d'acheter quelques pages de pub).
Ceci étant, c'est toujours mieux de produire des vins plus sains, de passer des centaines d'hectares en bio ou biodynamie (Gérard Bertrand, si tu m'entends, bravo), qu'utiliser 35 ou 40 traitements toxiques à la vigne en plus des artifices œnologiques du chai. On pourrait dire qu'ils courent après le succès, mais qu'importe : que ce soit fait par soucis éthique et citoyen ou pour des raisons marketing, c'est toujours ça de poisons en moins dans l'environnement, qui en a bien besoin (lire entre autres ici ou encore ici).
Personnellement, je trouve souvent que dans cette catégorie, les vins manquent d'âme, mais c'est mon goût personnel et j'ai tendance à aimer les vins d'auteurs, ceux qui ont un peu le goût de la sueur de la vigneronne ou du vigneron.
Moi, je vous le dit : on devrait pouvoir boire son vin naturel tranquille sans sentir dans son cou l'haleine fétide et parfumée au glyphosate des censeurs du "bon goût".